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08 septembre 2006

Tribute to Tony


A l'heure où Tony Blair annonce son retrait prochain (et un peu précipité) de la vie politique et au moment où les candidats à la candidature français s'agitent de plus belle (les commentaires des uns et des autres sur "Teflon Tony" ne devraient pas tarder), il me semble opportun - personne n'est parfait - de rappeler dans ces colonnes qu'il existe dans d'autres pays européens des dirigeants socialistes modernes qui vivent dans le monde réel et font réellement progresser leur pays.

Voici tout d'abord un lien vers un article de Libé intitulé "Un libéral qui a revalorisé l'Etat" et qui montre que le Blairisme n'est pas que le Libéralisme, n'en déplaise aux archéo-socialos de la rue de Solferino et à Sarko (qui s'en réclame occasionnellement en ne voulant voir qu'une seule facette de son action) mais qu'il a aussi conduit une véritable politique sociale progressiste :

http://www.liberation.fr/actualite/monde/203216.FR.php

Par ailleurs, je ne résiste pas à la tentation de vous citer les meilleurs passages d'un chat du mois de mai (juste avant la 3ème réélection de Blair) animé par Jean-Pierre Langellier, correspondant du "Monde" à Londres, et qui tord le cou à bon nombre de préjugés et idées reçues sur le Royaume-Uni (la pauvreté, la précarité, les systèmes de santé, etc.)

Les questions, en gras, sont posées par des internautes.

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Burguburu : Le sentiment dominant, vu d'ici, est que Tony Blair en dépit de ses erreurs et de ses choix irakiens, est absolument imbattable ? Comment l'expliquez-vous ?

Jean-Pierre Langellier : D'abord, aucun dirigeant politique n'est imbattable. Tony Blair, d'ailleurs, ces derniers jours, fait comme s'il pouvait être battu pour rameuter, d'une part, les électeurs nombreux qui n'ont pas l'intention de voter et, d'autre part, les électeurs travaillistes qui seraient tentés de voter contre lui, ce qui risquerait de faire progresser les conservateurs.

Pourquoi a-t-il les meilleures chances d'être réélu ? Pour plusieurs raisons. D'abord, la situation de l'économie. La Grande-Bretagne est actuellement le grand pays de l'Europe de l'Ouest qui a l'économie la plus prospère, la plus dynamique, un taux de croissance beaucoup plus élevé que la France et l'Allemagne, par exemple, un quasi plein emploi depuis plusieurs années, des taux d'intérêt très bas. Les gens, au fond, trouvent que le Parti travailliste a amélioré leur vie quotidienne, et ils n'ont pas de raison fondamentale de renier le bilan de Tony Blair.
La deuxième raison, c'est que les conservateurs n'ont pour l'instant pas fait la preuve qu'ils avaient un programme crédible ou n'ont pas fait entendre leur différence de manière crédible. Troisième raison : elle tient, je crois, à la qualité, au talent politique de Tony Blair et aussi de son ministre des finances, Gordon Brown. Tony Blair reste un homme politique intelligent, persuasif, charmeur, qui donne l'impression d'avoir encore beaucoup de choses à faire au pouvoir. C'est quelqu'un qui aime le débat, aime affronter les publics hostiles, probablement parce qu'il pense pouvoir les convaincre. Et, en face, il y a un leader conservateur, Michael Howard, 63 ans, qui est un "vieux" de la politique et qui n'a pas réussi à se renouveler, qui fut ministre de Margaret Thatcher et de John Major, qui fut très mal aimé à l'époque, et qui n'est pas parvenu à faire oublier son passé et à améliorer suffisamment son image.

François : Le taux de chômage en Angleterre (4,8 %) est le pivot de l'élection. Pour commencer, pouvez-vous préciser si ce taux est obtenu par une méthode analogue à celle pratiquée en France, par exemple. Dans un précédent article, vous avez par ailleurs indiqué un nombre impressionnant de personnes indemnisées (2 millions, me semble-t-il) pour incapacité de travail, laissant penser qu'il s'agissait au fond de personnes "assistées". Ces personnes sont-elles comprises dans le taux de 4,8 % ? un article d'un de vos confrères (Libération, je crois) donnait des chiffres voisins pour la Suède. Que penser de ces diverses comparaisons ?

Jean-Pierre Langellier : Sur les méthodes de calcul, la Grande-Bretagne a une méthode différente de celle du Bureau international du travail, la plus commune. Mais, au-delà de ces différences de méthode, quand on utilise la même méthode pour la Grande-Bretagne et les autres pays, on retombe sur la même réalité, que l'on peut sentir en se promenant dans les rues de Londres ou d'ailleurs, qui est que la Grande-Bretagne flirte avec le plein emploi structurel. Il y a toujours un chômage conjoncturel, qui varie, mais l'essentiel, c'est que, dans les rues de Londres et des grandes villes, on offre des emplois presque à tous les coins de rue.
Deuxième point sur les chiffres : il y a en effet près de 2 millions de gens en Grande-Bretagne qui ne sont pas comptabilisés comme chômeurs, parce qu'ils ne demandent pas un emploi. Ils perçoivent à la place une indemnité de longue maladie ou de handicap. C'est une sorte de trou noir, au fond, dans les statistiques. Le gouvernement combat cet état de fait et a réussi à réduire déjà le nombre de ces gens et à en ramener un certain nombre (plusieurs centaines de milliers) vers le marché du travail. Cela va continuer. Parmi ces gens, il y a évidemment de vrais malades, mais il y a aussi des gens qui n'ont pratiquement pas intérêt, ou qui ne voient pas en tout cas l'intérêt de travailler et qui se contentent de cette petite indemnité, pour des raisons personnelles.
Au-delà de tout cela, il faut voir qu'il y a eu une politique cohérente, volontariste, à long terme, qui a d'ailleurs été commencée sous les conservateurs de Margaret Thatcher et qui s'est poursuivie sous Tony Blair, et qui vise à remettre le travail au centre de la vie, des valeurs. Et cette politique a réussi. Cela veut dire, sans entrer dans le détail, que l'on incite les gens, surtout les jeunes, à trouver un emploi et, pour cela, on manie à la fois le carotte et le bâton.
On s'engage à s'occuper d'un demandeur d'emploi très vite. Le contraste avec la France est frappant. Si je demande un emploi et que je me présente dans ce qu'on appelle un "job centre" (équivalent de l'ANPE), un conseiller s'engage à me recevoir dans les 15 minutes. Et j'ai fait l'expérience. Une fois qu'on a eu un entretien, on est conseillé, suivi pendant des semaines, et on nous propose la formation la meilleure. Et, en général, on trouve un emploi très vite, parce que l'économie se porte bien, mais aussi parce que tous les efforts sont focalisés sur le travail. L'inactivité en Grande-Bretagne est considérée comme suspecte.

Stéphanie : Le bilan de Blair, c'est un chômage faible, mais une précarité grandissante (contrats à durée déterminée, coût de la vie excessif...), non ?

Jean-Pierre Langellier : Totalement faux. Cela fait partie des très nombreuses idées reçues, des très nombreux clichés qui circulent, à gauche surtout, en France. Il y a actuellement infiniment plus de CDD, de travail à temps partiel, et de toutes les formes d'emploi juridiquement discriminatoires en France qu'en Grande-Bretagne. D'ailleurs, le CDD et les stages sont pratiquement inconnus ici. Bien sûr, il y a beaucoup de petits jobs en Grande-Bretagne, comme en France. Tous les petits jobs que l'on ne peut pas délocaliser, si je puis dire. Il y en a des millions dans les grands pays modernes. Mais la différence essentielle, est que l'on a compris ici que la plus grande précarité, ce n'est pas la précarité de l'emploi seulement, c'est la précarité de la vie en général, celle provoquée par le chômage. Etre chômeur est évidemment le plus sûr moyen de se retrouver exclu.
Deuxième chose : quand on a en Grande-Bretagne un petit job, on sait qu'il ne va pas durer, que c'est une étape, que c'est un moyen de remettre le pied à l'étrier. On sait qu'il y a autre chose possible, car l'économie va bien et il y a plein emploi. Alors qu'en France un petit job est perçu comme quelque chose de durable, car il y a un fort chômage et que, derrière, on ne trouvera pas forcément un autre job plus intéressant.

Marie-Claire : A votre avis, quels ont été les points les plus positifs du deuxième mandat de Tony Blair ?

Jean-Pierre Langellier : Je pense que les points les plus positifs du deuxième mandat ont été liés à la modernisation des services publics. La grande entreprise des travaillistes, dès le premier mandat mais surtout au cours du deuxième, et au cours du troisième s'ils sont réélus, est d'investir dans les services publics : l'éducation, la santé, les transports, la loi et l'ordre. Ils sont obsédés par cela depuis qu'ils sont au pouvoir. Ils estiment avoir une sorte de mission politique à accomplir, qui est de réinventer l'Etat-providence en Grande-Bretagne.
Ils ont donc beaucoup investi dans la santé. Pour l'instant, les résultats sont réels mais très inégaux. Par exemple, on attend beaucoup moins longtemps avant d'être opéré à l'hôpital, mais en revanche on a toujours des problèmes avec les dentistes, qui sont insuffisamment nombreux, ou l'hygiène des hôpitaux, qui n'est pas toujours impeccables. Les conservateurs dénonçaient pendant cette campagne les infections qui pouvaient y survenir. Mais, dans d'autres domaines, le service de santé a profité de cet argent. Et il va y avoir à nouveau de très gros investissements dans ce domaine si les travaillistes restent au pouvoir.
Pour l'éducation, le bilan est beaucoup plus positif. Tout le monde reconnaît que les résultats scolaires sont meilleurs depuis quelques années, que la discipline s'est améliorée, que les professeurs ont des classes moins surchargées. En revanche, il y a un domaine où il n'y a, à mon avis, aucun progrès, ce sont les transports, en particulier le chemin de fer.

Burguburu : Peut-on établir une comparaison, non pas en terme de bilan, mais en terme de durée entre la période thatchérienne - et son prolongement avec John Major - et l'exceptionnelle longévité de Tony Blair ? Est-ce à dire que les Anglais n'ont pas la même conception de l'alternance politique ?

Jean-Pierre Langellier : Les Britanniques ont un sens très aigu de l'alternance politique, toute leur histoire le prouve. Mais ils n'ont aucune raison de faire l'alternance pour l'alternance. Ils gardent leur confiance ou la retirent en fonction de ce qui leur semble être leur intérêt collectif. Margaret Thatcher est restée onze ans au pouvoir parce que, à l'époque, le Parti travailliste était faible, divisé, doctrinaire et peu crédible économiquement. Lorsque les conservateurs ont été considérés comme usés par l'électeur, ils ont été remerciés. Et tout le mal de Tony Blair et de Gordon Brown pendant le premier mandat travailliste a été de convaincre les Britanniques que la gauche pouvait être crédible économiquement. Crédible et efficace. C'est ce qu'ils ont réussi à démontrer, et ils espèrent ainsi avoir rompu avec le passé, avoir restauré une image positive de la social-démocratie.

Fab : Qu'en est-il des sentiments de racisme et de xénophobie, liés à l'immigration, au sein de la société britannique ? Ces sentiments cherchent-ils à s'exprimer par les urnes ?

Jean-Pierre Langellier : Le Parti conservateur a enfourché l'immigration et le droit d'asile comme chevaux de bataille contre les travaillistes. Mais il semble que la dureté de ton et aussi la rigueur assez peu réaliste des propositions des conservateurs, notamment l'instauration d'un quota annuel d'immigrants et de demandeurs d'asile, n'ont pas convaincu la majorité des électeurs et a même eu un effet inverse en repoussant certains travaillistes vers leur propre camp.
Cela dit, les trois grands partis sont favorables, à des degrés divers, à un contrôle de l'immigration. La différence est évidemment entre les politiques proposées. Les travaillistes ne croient pas à des quotas, ils veulent adapter l'immigration aux besoins de l'économie.Les libéraux-démocrates veulent une coopération européenne plus étroite.
François : J'ai cru comprendre que le taux de pauvreté était encore élevé (environ 20 %, d'après les statistiques officielles, soit plus qu'en France) malgré le plein emploi statistique. Quand je vois votre enthousiasme (assez partagé, semble-t-il) , est-il exagéré de dire que la principale réussite en Grande-Bretagne réside dans un sentiment général d'espoir et de foi en l'avenir, et que ce sentiment est en lui-même porteur d'amélioration ?
Jean-Pierre Langellier : Je partage votre sentiment qu'en effet il y a un horizon d'espoir pour le plus grand nombre, et que c'est un facteur important. S'agissant de la pauvreté, il y a en effet encore de très fortes inégalités en Grande-Bretagne, comme dans tous les pays,mais depuis deux ou trois ans, ces inégalités se réduisent légèrement.
Il reste aussi une pauvreté des enfants qui est plus importante que dans les autres grands pays européens. Mais, là aussi, le nombre d'enfants pauvres a été sensiblement réduit (plus de un million ces dernières années). La différence tient largement au fait que les Britanniques sont plus exigeants en matière de pauvreté : ils mettent la ligne de pauvreté plus haut. Est considéré comme pauvre un enfant dont la famille a un revenu égal à 60 % du revenu moyen.
Mais je rappelle qu'un autre critère, comme le salaire minimum, qui a été instauré par les travaillistes en 1999, a été en termes réels, en cinq ans, augmenté de 40 %.

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Voilà. La question est maintenant posée: Qui en France, où "Blairiste" est presque une insulte, peut s'enorgueillir de trois réélections aux plus hautes fonctions ?


Photo (c) Le Monde

 
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